Opéra de Marseille Camille Saint-Saëns. Samson et Dalila Chœur et orchestre de l’Opéra de Marseille
Du bon usage des contraintes
Que font les maisons d’opéra quand les finances publiques jouent du rabot et donnent du tour d’écrou ? Tenter coute que coute de conserver tous les éléments propres au monde de l’opéra en minorant ceux-ci ? Orchestre à la direction peu assistée ? Décors a minima ? Mise en scène Champomy ? Larynx hésitants ? Des économies de moyens pour des résultats parfois…très moyens.
Ce Samson et Dalila à l’affiche de la saison marseillaise rapporte si besoin est qu’un opéra traité en « version de concert » peut surmonter les contraintes et se recentrer sur la substance même de l’opéra : la musique et le chant. Et ainsi, séduire et émouvoir.
Pour ce seul opéra encore en vie de Saint-Saëns, tout cela sonna si bien qu’on en oublia l’absence de décors (parfois usines à gaz à la pertinence douteuse..) et celle de metteurs en scène catégorie « Ponnelle est mort, Strehler aussi et moi je ne me sens pas bien… »
Mais revenons à Saint-Saëns et à son Samson et Dalila.
N’est pas Da Ponte ou von Hofmannsthal qui veut. Que dire du livret de Ferdinand Lemaire si ce n’est qu’il date terriblement et que le recours aux métaphores bibliques (oui…c’est le sujet…) à la longue lasse nos sens par une prosodie ampoulée et déclamatoire qui nous laisse de marbre.
(«O peuple lève toi
Viens assouvir ta haine
Le Seigneur est en moi !
O toi, Dieu de lumière
Comme aux jours d’autrefois,
Exauce ma prière
Et combats pour tes lois !
Israël ! Lève-toi ! Lève-toi... »)
Samson est crée en 1877. Cruelle comparaison : Parsifal (1882), Khovanchtchina (1886), Manon (1884) ou Carmen (1875) Des œuvres qui, aujourd’hui encore, nous parlent…
Malgré la prose d’un Ferdinand Lemaire, pour l’éternité oublié, nous restâmes en éveil, car…
Primo…Le chœur de l’opéra de Marseille, irréprochable, atteste d’une préparation rigoureuse, cohérente, parfaitement assimilée.
Secundo, une direction d’orchestre de haut vol. Emmanuel Villaume galvanise ses musiciens par une ferveur de chaque instant, souligne les contrastes et obtient timbres et couleurs du plus bel effet.
Et tertio…les chanteurs.
Grand prêtre de Dagon, Philippe Rouillon, a un âge avancé, étonne par une maîtrise vocale d’une grande prestance, une diction irréprochable et un phrasé exemplaire.
Torsten Kerl n’est pas que ce « Heldentenor » (ténor héroïque) wagnérien acclamé pour ses Parsifal, Tristan, Siegfried ou Lohengrin. Aux quatre coins du monde, il est aussi un Samson aussi large d’épaules que l’ambitus de sa voix et aussi solide que le pouvoir évocateur de celle-ci.
Légèrement indisposé par un refroidissement, le ténor allemand n’aura pu investir totalement son rôle. Mais la voix est d’une stabilité confondante, la diction est tout à fait remarquable, projetée avec une aisance peu commune. Le fan club de Torsten Kerl fera son miel d’un album paru en 2004.
Une santé vocale insolente…Ben Heppner enfin rivalisé…
Pour incarner le rôle psychologiquement si complexe de Dalila, et sous la contrainte de cette version de concert, ce n’est rien de dire qu’il faut maturité et assurance. Olga Borodina (image) est à Dalila ce que Régine Crespin est aux Nuits d’été. Une référence depuis plus de 20 ans justifiée par une profondeur et une musicalité vocales à faire fondre le cœur le plus sec.
Talents+talents+talents= quand le tout est supérieur à l’addition de ses parties…pour notre bonheur…la magie de l’opéra opère.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 27/11/2010
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