Opéra de Marseille La Flûte Enchantée. W.A. Mozart Juin 2012 Lion roi, Sandrine reine.
La rencontre avec des opéras peu connus ou rarement représentés stimule notre curiosité, dope notre réceptivité, active notre attention. Sans référence antérieure, nous voici vierges et, à l’écoute de ces œuvres, a priori… bienveillants.
Tout autre est notre état d’esprit quand il s’agit d’œuvres phares du grand répertoire.
Exemple: La Flûte Enchantée de Mozart.
Le jugement du lyricomane instruit qui en est à sa dizaine ou vingtième version, sera nourri de quantités de références, positives ou négatives. Souvenir d’une mise en scène réussie à Garnier, d’un Sarastro d’anthologie à Londres, de laids décors à Lyon, d’une direction d’orchestre brillante à Vienne…le lyricomane n’est pas indulgent mais il peut être sensible à des innovations. Et la production signée J.P Scarpitta, en fait d’innovation, en contient une, et de taille… Celle ci intervient dans la chair même de l’œuvre. Afin d’ « alléger » les deux actes de la Flûte de ses récitatifs habituels, le metteur en scène les a substitué au profit de commentaires en langue française dit par deux jeunes récitants.
A sa création en 2009 au Châtelet, cette initiative avait fait débat. D’une part on admit ce choix pédagogique puisque Scarpitta, pensant aux enfants, nous sert un conte, une fable, une vision symbolique toute nimbée d’un onirisme à base de chimères et d’animaux dont un immense lion-marionnette (une vraie révélation.) D’autre part, on entendit la voix des puristes auxquels on ne donnera pas tort. Les textes de la main de Scarpitta prétendent à un didactisme philosophique qui relève plus d’un Paulo Coelho que d’un Platon. Vaut’ il mieux ne rien comprendre à ce qui se dit en allemand (sous-titrage ?) ou bien entendre une prose un rien verbeuse et, in fine, assez vaine? Au motif de rendre intelligible le livret de Schikaneder, Scarpitta nuit à l’élément principal de cette œuvre : son mystère, ses mystères, ceux du contexte maçonnique dont on sait l’importance comme fil conducteur de cette œuvre. Par ailleurs, la transition entre les deux langues « figent » les chanteurs qui en sont réduits à mimer leurs intentions.
Mais par bonheur, ces réserves sont vite oubliées car cette production, par ailleurs, est un enchantement.
Musical en premier lieu, le chef Kenneth Montgomery s’accorde avec un orchestre qui fait honneur à la partition de Mozart. On doit à J.P Scarpitta des décors éblouissants, de nombreuses inventivités, une fantaisie à tous les étages. Sa mise en scène est lisible, équilibrée, sans recherche d’effets « tendance. » Elle ne prétend pas à délivrer un message censé nous rappeler à notre modeste condition d’auditeur. Sur le plateau, une distribution de grande classe à deux exceptions : un Pamino vocalement présent mais comédien peu convaincant et un Papageno qu’on aurait aimé papillotant, facétieux, plus espiègle, gentiment nigaud. Reine de la nuit, Burcu Uyar, intrigante à souhait, nous offre un « Der hölle Rache » conduit avec une belle maîtrise. Elle fut très généreusement acclamée.
Mais…mais…le grand frisson vint de Sandrine Piau-Pamina. Une présence toute en nuances, sensible et délicate, sans un gramme d’effet, une voix souple, ductile, qui porte loin sans effort, une ligne de chant aussi envoutante que naturelle, un timbre de la plus parfaite musicalité sur toute sa tessiture et un « Ach ich fühl’s » tout simplement bouleversant.
Mozart du haut de ses nuages, sourit. Reine de nuit, reine de jour, la vraie reine c’est elle, Sandrine Piau.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 15/06/2012
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