Musicales du Luberon 2017 Les chroniques de Gérard Abrial
Un cran au dessus des sommets du sacré.
On doit laisser la musique éclore d’elle-même. Pourquoi devrais-je mêler mes préoccupations, mes sentiments à des œuvres dont une seule page est plus importante que ma vie ? »
Arcadi Volodos, pianiste.
W;A. Mozart
Messe en ut K 427
Ensemble Accentus
Insula Orchestra
Direction Laurence Equilbey
Bénédicte Tauran- Chiara Skerath - soprano
Cyrille Dubois - ténor
Philippe Estèphe – baryton
20 juillet Carrières des Taillades
Un cran au dessus des sommets du sacré.
Entre 1768 et 1791, Mozart composa une vingtaine d’œuvres liturgiques. Deux resteront inachevées : le fameux Requiem de 1791 et cette Messe k 427. Celle-ci est écrite pour un quatuor de solistes (2 sopranos, ténor et basse) un double chœur et un orchestre, selon la forme de la liturgie catholique romaine.
Œuvre très contrastée, nourrie d’un souffle aussi puissant que contrôlée, on y entend dramatisme, ferveur, confidence et éclats de joie. A égalité de foi, d’esprit et de piété, elle se range au côté de la Messe en Si de Bach. L’héritage de Bach y est manifeste notamment dans le Gloria et le Sanctus. Le contrepoint selon Mozart, si développé, si affirmé, ne le cède en rien à celui du Cantor de Leipzig.
Au sommet de ce chef d’œuvre, le cultissime « Et Incarnatus est » ce chant irradiant qui célèbre l’incarnation du Christ.
La messe en ut mineur ne se classe pas uniquement parmi les chefs d’œuvre de la musique. Quel que soit son interprétation, elle appartient au patrimoine culturel de notre humanité.
21h30 Carrières de Lacoste.
Détaillons. D’une part, le chœur Accentus et de l’autre, l’ Insula Orchestra.. Puis, la vision interprétative selon Laurence Equilbey. . Et enfin, l’adaptation à l’acoustique de ce chaudron minéral que sont les carrières des Taillades..
Très généralement, l’interprétation d’une œuvre est le résultat de l’addition de tous ces éléments, un à un..
Mais, ici le compte n’y est pas..
Voila une locution bien peu glamour mais qui résume le sentiment éprouvé à l’issue du Crédo conclusif de cette Messe.
« Le tout est plus grand que la somme des valeurs des parties ».
Par bonheur, de temps à d’autre, de loin en loin, s’impose une donnée non mesurable, celle de l’effet un peu magique de l’homogénéité, celle qui produit un « supplément d’âme » une harmonieuse « fusion », un « œcuménisme » musical qui échappent à la stricte analyse auditive. Indicible, elle nous renvoie à l’intime de notre écoute et ici, à notre rapport avec le sacré et à la liturgie.. Par bonheur, la machine à peser l’enchantement, le rêve ou la prière est encore dans les limbes.
On sait depuis peu, neuro- imagerie à l’appui, que deux personnes écoutant la même œuvre, celle-ci excite différemment les zones cérébrales dédiées à l’écoute de chacun*/** De ce point d’ « audition » ce n’est donc pas la même œuvre…
Toutes les sensibilités devenant ainsi légitimes, la tolérance s’impose..
Le grand mérite de la science musicale de Laurence Equilbey, de ses parti-pris interprétatifs, est d’avoir agrégé avec la plus grande clarté, le naturel le plus évident, l’expressivité des Accentus et d’Insula, d’avoir porté à son plus haut la connivence de ces ensembles qui n’en font qu’un.. Il faut dire que Laurence Equilbey, personnalité qui incarne le chant choral dans sa plus grande diversité, fait preuve d’un magnétisme contagieux que l’auditeur le plus néophite perçoit sans effort..
Quelques éléments révélant la beauté de cette Messe en Ut qui n’a de mineur que sa tonalité : contraste des couleurs, usage a minima du vibrato, limpidité vocale, maîtrise des contrastes, sens du rythme, distinction des timbres, étagement des plans sonores, clarté de la polyphonie, fluide et souple… .
Un seul bémol… malgré la ferveur et l’implication de Chiara Skerath et de Bénédicte Tauran (remplaçante de Mari Eriskmoen) les deux sopranos élues sont en voie de perfectibilité L’une pèche par un registre aigu non exempt de duretés, l’autre par une modestie dans sa projection et d’un phrasé instable. .
Accentus et Insula ont transcendé cette Messe, tout en évitant un écueil commun à bien des ensembles emportés par leur ferveur. Lequel ? Celui de surjouer ou de « sur-chanter » jusqu’à saturation et inintelligibilité. . C’est par ce contrôle de l’intensité vocale, cette légère rétention, (que certains ont pu éprouver comme un déficit de chaleur) ce refus de toute exhibition lyrique ou de rhétorique envahissante qu’est évité un mauvais pas : celui de nous submerger auditivement comme émotionnellement. .
Mozart ( selon moi..) nous dit : « je ne compose pas pour qu’on me suive, je compose pour que chacun fasse son chemin en soi »
Gérard Abrial .
Musicales 2017.
www.mailomanes.fr.
* Sérénade pour un cerveau musicien.
Dr Pierre Lemarquis Ed. Odile Jacob 2009.
**Musicophilia Olivier Sacks Ed.Seuil 2009 .
© Easyclassic - 23/07/2017
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