Chorégies d’Orange 31 juillet 2012 Turandot de G.Puccini
Agences de notation : Roberto Alagna dégradé d’une note ( un contre-si)
On en causera encore un peu à l’automne, négligemment, confusément, puis cet hiver plus du tout. Après l’ « affaire Alagna-Turandot 2012 », le monde lyrique se trouvera d’autres polémiques. L’opéra c’est l’art de la transgression et de l’exhibition. Il embrase les scènes mais aussi consume le public jusqu’à lui faire perdre tout sens de la mesure.
Pour l’heure, le rideau vient de tomber sur l’édition 2012 des Chorégies d’Orange. Après une Bohème de très bonne tenue mais un peu perdue dans l’immensité du lieu, on attendait une Turandot dont la carrure convient particulièrement bien à ce dernier. Mais, voila…une note vous manque est tout est à déplorer… Les victimes des agences de notation en savent quelque chose.
Petit mémo… Lors de la première de Turandot, ce 28 juillet, Roberto Alagna accusa une méforme vocale due à une « mycose laryngée » handicapant son chant au point de le rendre quasiment inaudible. Mais surtout, surtout…(roulements de tambour...) le fameux et très attendu contre-si de son air « Nessun dorma » resta dans le ténorissime gosier. Résultat : huées et sifflets des puristes et sifflets et huées des anti-puristes. Une atmosphère banderilles, bronca et muletas.
Au final, ce contre-si passé à la trappe, sujet de toutes les conversations, occulta l’ensemble de l’œuvre et son interprétation. Aussi, au soir de la deuxième représentation, une seule question parcourait les gradins des Chorégies et bien au-delà… « Chantera-t-il ? Oui ? Non? Et si oui, ce contre-si à 240 euros en 1ere série, aurons le privilège de l’entendre ? »
Que le lecteur-lyricomane nous pardonne, mais nous, nous disons :
« Ce contre- si là, nous…on s’en contre-fiche.. »
Maestro Alagna a perdu une note. On peut être déçu, car c’est une note symbolique de Turandot. Mais… ne sommes nous pas au cœur du spectacle vivant, lequel, n’ayant le droit qu’à une prise, s’expose aussi à des ratés ? Que nous revienne en mémoire des « accrocs » signés Callas, Pavarotti, Carreras ou Tebaldi…
Il serait bon de relativiser l’importance de ces notes « extrêmes » si prisées du public. Elles sont pures performances. Ce sont des exploits vocaux inventés dès la naissance de l’opéra pour que les chanteurs puissent se pousser du col et sidérer le public.
Rappelons que dans ces tessitures virtuoses, au plus haut de l’ambitus vocal, le mot prononcé ou chanté disparait au profit d’une vocalise et souvent, d’un cri, cri dont l’opéra depuis Monteverdi fait une grande consommation. Nous sommes dans l’inintelligible.
La seule question que nos grandes voix se posent est celle du choix de leurs rôles. Celui de Calaf est lourd, exigeant, hautement énérgétivore. Erreur de casting maestro Alagna ? Surexposition médiatique… ?
Mais entrons donc dans le vif du sujet. Quelques simples mots suffiront.
Cette Turandot ? Grandiose. L’ultime opus de Puccini est musicalement un chef d’œuvre absolu qui ne mérite vraiment pas le dédain dans lequel le lyricomane savant trouve bon de le tenir. C’est une partition riche d’audaces harmoniques, d’effets orchestraux des plus raffinés, de couleurs orientales luxuriantes. L’Orchestre National de France, à sa tête, un Michel Plasson parfois asymétrique et heurté dans ses indications, a néanmoins produit ces grandes houles pucciniennes, ces flux et reflux sonores qui auront chaviré les cœurs les plus secs.
Ame de cette œuvre, Charles Roubaud a conçu une mise en scène somptueuse. Magnifiquement architecturée, elle offre aux multiples déplacements des foules, une cohérence, une pertinence qui s’exprime sur tout l’espace du théâtre antique. Le palais impérial, constitué d’une galerie surmontée de deux niveaux, abrite les terrifiantes humeurs d’une Turandot, invisible à nos yeux mais bien présente par les suggestions musicales et les récits des multiples chœurs.
Cette mise en scène installe des les premières mesures, un climat inquiétant, oppressant, mortifère qui offre une parfaite lisibilité à une intrigue à plusieurs niveaux. C’est ainsi que les principaux protagonistes peuvent donner libre cours à l’entière incarnation de leur rôle. Dotée d’un beau timbre et d’une grande projection, Maria Luigia Borsi campe une Liu fiévreuse, amoureuse sans espoir que Calaf, tout à sa soif de séduire la cruelle Turandot, s’attache à elle.
Le chant de Liu à ses derniers instants est un des temps les plus forts de tout le répertoire de l’opéra, une page du niveau de celle de la Didon de Purcell.
Lise Lindstrom (*)est une révélation. On ne peut pas rêver d’une plus parfaite Turandot. Haute silhouette hiératique, noire, son chant est volontairement froid, métallique, désincarné. Ses phrases sont tels des coups de sabre. La compassion est un sentiment qui lui est totalement étranger.
Pour rendre crédible son soudain attrait pour Calaf, il fallait que celui-ci soit un prétendant vaillant, courageux, valeureux. Un maître es séduction.
Dans ce domaine, Robert Alagna est parfait. Véritable bête de scène, remis de ses troubles du 28 juillet, malgré une perte de rayonnement vocal, son Calaf est crédible, attachant, follement romanesque. La ductilité, la sobriété, la musicalité de la voix du ténor français émeut toujours autant.
Roberto Alagna aura eu le cran de se confronter à une fraction d’un public prévenu contre lui. Ce même public, qui au cirque, guette le faux pas du funambuliste et applaudit à son inévitable chute.
Sur les gradins des Chorégies, au moment du bouleversant « Nessun dorma » on retint son souffle. Libéré du menaçant « contre-si » lancé avec brio, Roberto Alagna reçoit avec bonheur les « hourras » et les « vivats ».
« Agences de notations…désolé… » déclare t’il en retrouvant sa note.
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Gérard Abrial
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© Easyclassic - 03/08/2012
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