Festival de la Roque d’Anthéron
Voilà plus de 10 ans que Nikolaï Lugansky était élu « petit prince de la Roque ». Au fil du temps, couronné « roi parmi les rois » de l’école russe du piano, il a désormais son fan club au même titre que Boris Berezovski, Arcadi Volodos ou Evgueni Kissin. Nikolai Lugansky se distingue par la spendide sonorité de son piano, son goût pour l’épure, son refus des effets, son penchant pour l’implicite. Ce « style » transparaît même sur sa personne, silhouette soignée, habit à l’ancienne sans faux plis, chevelure au dessin impeccable. Jusqu’à son maintien tout en réserve et ses sourires à peine esquissés, c’est un artiste tout entier sous contrôle.
Le récital Nikolaï Lugansky aura été d’une grande beauté formelle, privilégiant fluidité et souplesse, équilibre tonal et contrôle de la dynamique. Ici pas de graves caverneux ou d’aigus scintillants. On ressent bien chez cet être discret le désir de restituer la partition « telle qu’elle » sans aucun parti pris de plaire. Mais cette esthétique a ses limites. Le Debussy d’entrée de jeu, s’il évite le piège d’une musique vaporeuse qui se confond avec le caractère « impressionniste » accolé à ces œuvres, se fait entendre privé du charme et du mystère des plus belles pages de Debussy. Clair et naturel, le piano de Nikolaï Lugansky est ici souvent neutre. Quid de la retenue quand elle s’entend rétention ?
On ne reprochera pas à cet esthète de surjouer Chopin, à faire entendre des orages beethovéniens là où de sombres passages nuageux suffisent à décrire la pensée de l’hôte de Nohant.
Le « Presto ma non trop » de cette sonate n°3 fait entendre un artiste souverain dans une page d’une complexité sans nom. Piano brillant, virtuosité, admirable clarté de la pensée musicale, ce finale laisse le public pantois devant tant de beauté.
La transcription de la Partita n° 3 Bwv 1006 de Bach écrite par Rachmaninov pour le piano demeure un exercice de style que Lugansky affronte sans effort, parfois avec une sorte de nonchalance tant cette musique lui semble familière.
Poursuivant avec Rachmaninov pour une série de huit Etudes Tableaux de l’opus 33, la connivence de notre pianiste avec l’univers de son grand compatriote rayonne à chaque mesure. Contrastes tout en finesse, couleurs discrètes, on est loin des versions badigeonnées d’épanchements que longtemps on prêta à un Rachmaninov, pianiste et compositeur qui se gardait bien de toute tendance à l’emphase.
En bis, Nikolaï Lugansky revint à Debussy. Et là, très loin de la neutralité de sa Suite Bergamasque d’entrée de jeu, nous entendîmes une Première Arabesque belle à faire fondre le cœur le plus aride. Volume et relief sonores, implication qui fait entendre sourires et tendresse, on aurait aimé une Arabesque sans fin, et des Estampes et des Children’s Corner et des Etudes…
On ferme les yeux, Nikolaï Lugansky se défait de sa queue de pie, s’ébouriffe les cheveux et, sur la lancée de ce Debussy, reprend, ad libitum, pour notre plus grand bonheur.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 04/08/2009
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