Musicales du Luberon Sémiramis
Lors d’un récent entretien, Nadine Duffaut, metteur en scène d’opéra, nous confiait : « Loin d’être une frustration, la limitation d’un budget peut être une source d’inventivité, une incitation à un travail de fond sur le livret, sur les voix comme sur l’intelligence scénique des artistes. » Scénographe de Carmen 2008 aux Chorégies d’Orange, le renoncement à des décors somptueux, au recours à la vidéo, à l’emploi de « machines » extravagantes ne semble pas chagriner une Nadine Duffaut, connue pour sa rigueur.
Autre contrainte liée à la scène des carrières de Lacoste, son absence de profondeur et de machinerie ne peut laisser place qu’ « à des mises en espace » comprenant jeu des chanteurs, costumes, éclairages, chœur en mouvement…A ne pas confondre avec les « versions de concert », elles, statiques. Nous n’étions donc pas loin d’un opéra « classique ».
Nadine Duffaut, elle même musicienne, ayant chanté et enseigné le chant, se sera ici à Lacoste comme à Orange, effacée au profit des voix et du texte. Convaincue que son rôle consiste à nous « raconter une histoire », elle sera, dans ces deux lieux si semblables par leur minéralité, allée à l’essentiel, c'est-à-dire, mettre les chanteurs en situation la plus propice à l’expression de leur talent.
Sémiramis, un des derniers opéras de Rossini avant sa précoce retraite, est une œuvre majeure du bel canto. Arias, duos, trios etc.…jusqu’au quintette, sont des événements vocaux qui se succèdent telle une pyrotechnie. Au centre du livret, Sémiramis, reine de Babylone, personnage tout à la fois, meurtrier, adultère et incestueux.
On n’ira pas jusqu’à affirmer que cette intrigue est d’une lumineuse compréhension ou d’une crédibilité absolue. On y assassine dès le lever de rideau, on y fomente des complots, le sang coule, les morts parlent du fond de leur tombeau, les traîtres s’activent. Au bout du bras de chacun, une lame, une dague, un sabre, un glaive…à croire que la coutellerie locale y fait sa réclame.
Alors, demeurent les voix…
On attendait Ermonela Jaho. Celle qui remplaça Anna Netrebko à Londres s’étant à son tour déclarée forfait, Silvia Dalla Benetta incarna Sémiramis. Pas plus que les Anglais du Royal Opéra House en janvier, nous ne fûmes déçus.
Sur une belle assise vocale, une tessiture large et une solide projection, Silvia Dalla Benetta aura été plus que convaincante. Jeu sobre et crédible, son chant est naturel, ses aigus faciles, sa ligne vocale fluide. Notre seule réserve mais qui ne tient pas à elle: quelle idée de l’avoir affublée d’un pantalon « zouave » meurtrier pour sa silhouette ? Un crime que Rossini n’avait pas prévu.
Marie-Ange Todorovitch (image) en Arsace aura été irréprochable. Cette mezzo qui fait l’unanimité, dotée d’une extraordinaire énergie, possède un répertoire vertigineux. De Mozart à Charpentier mais surtout dans Rossini, elle rayonne vocalement et physiquement sur les plus grandes scènes. La reine de cette soirée, ce fut elle.
Côté hommes, Paul Gay, baryton-basse, donne un Assur d’une grande (sous la toise aussi) présence, vocalement stable et rayonnant. Qu’il soit reconnu comme un incomparable Méphisto ne nous étonne pas.
Eric Martin Bonnet possède ce medium large, doté d’un beau timbre qui toujours nous font apprécier cet artiste convaincant. Son Oroe est naturel, crédible, présent.
On aura connu Jean-Luc Viala plus en forme. Son Idréno erre un peu sur scène. Juan Diego Florez, rossinien dont la voix résonne ici même à Lacoste après un récital enthousiasmant, avait mis il est vrai, la barre très haute.
Quelques spectateurs auront été pris en flagrant délit de distraction, les yeux rivés sur un des plus beaux ciels de Provence. Bien véniel reproche car la magie des festivals d’été tient aussi à ces lieux enchanteurs où l’esprit flâne, voyage, vagabonde et s’apaise.
Car ces crimes et ces autres sanglantes intrigues … nul n’est tenu de les prendre à la lettre.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 30/07/2008
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