Cosi à Marseile, compte-rendu
Opéra de Marseille
Cosi fan tutte de W.A. Mozart
Le 12 avril 2006
Production de l’opéra des Flandres
On aura connu des Cosi tellement « opéra buffa » qu’ils ne pesaient pas plus lourd qu’un sitcom télé.
On aura connu des Cosi tellement « opéra séria » que leur psychologisme et leur dénonciation sociale rendait leur propos, si ce n’est illégitime, mais en tout cas, indigeste, vain et hors sujet.
L’argument de Cosi, c’est la substitution, l’équivoque et l’évolution psychologique de situations paradoxales. Avoir la main légère dans les multiples options qui se présentent au metteur en scène est une priorité.
On aura approuvé le travail de Guy Joosten. Il ne fait subir aucune altération au livret, il laisse ses sujets aller leur cours naturel et ne prétend, ni au génie, ni à redécouvrir Mozart.
Cette production de l’opéra des Flandres fut très mozartienne et on se réjouit, car justement, c’est de Mozart et pas d’un autre qu’il s’agit et qu’on aura aimé Mozart ainsi (bien) traité.
Le choix de décors (hall d’hôtel des années 30, grande verrière, bar, mobilier sobre) ainsi que des costumes « modernes » ne sont qu’une innocente concession à une vision contemporaine d’une modestie assumée.
Si l’orchestre de l’opéra de Marseille nous offre une ouverture un peu morne, il ne souffre par la suite d’aucun reproche. Cohérent, vif dans ses attaques, tendu dans ses pianissimi, épousant les courbes de l’action avec fluidité, son chef, Patrick Davin récolte les fruits d’un travail de fond mené depuis deux ans.
Mais le grand mérite de cette production aura été le haut niveau de son plateau vocal.
Quel plaisir d’être complice de la découverte de voix encore peu connues mais d’une telle qualité et qui s’empare de la scène au premier instant, sans hésitation aucune.
Passons ce sextuor en revue.
Don Alfonso. Meneur d’intrigues, on l’aurait aimé plus désabusé, voire cynique. Il est patelin, sans plus. Mais, vocalement, toujours à l’aise, facile, naturel.
Despina. Soubrette-confidente-libertine, elle traverse l’œuvre vocalement comme psychologiquement avec assurance, facétieuse sous tous ses déguisements.
Quant au quatuor des amants, jeunes et tous d’une présence scénique affirmée, ils sont des purs produits de cette jeune génération de chanteurs-comédiens aux talents multiples, sans esbroufe, admirables.
Guglielmo-Paulo Szot se ballade dans les chassés-croisés des sentiments, grand blond à l’organe vocale insolent de santé, un peu bravache, fat à l’occasion, seul à surjouer parfois.
Dmytri Korchak , Ferrando à la nature plus fragile est moins assuré sur scène comme dans ses déplacements. Il offre des airs d’un ténor juste et souple, au médium ample dans lequel il fait passer ses sentiments avec naturel. Ses doutes face à une Fiordiligi pour laquelle, au second acte, il éprouve une troublante attirance sont émouvants.
Dorabella-Sarah Jouffroy, est une mezzo qui dès son air de l’acte 1 « Ah scostati » se fond avec une grâce confondante dans un rôle qui requiert autant d’agilité vocale que psychologique. Belle projection, du style et du caractère, aigus faciles, quelques émissions fatiguées en fin de parcours, n’auront en rien gâché notre plaisir.
Mais la forte impression aura été celle éprouvée par une Fiordiligi de grande classe. Majestueuse blonde aux expressions de la plus grande sobriété, Jacquelyne Wagner (photo) a le physique et la dignité de la Brunehilde de son homonyme. Voix ample, bien projetée, profonde, dotée d’une gestion du souffle sans défaillance, émouvante dans le registre du sentiment implicite, dans ses arias comme dans les ensembles, elle nous aura séduite.
Mais ses indignations face aux inconvenances qu’on lui suggère la rende moins crédible quand elle cède aux charmes de Ferrando dont la petite taille vient buter sur sa haute poitrine.
Mais ces petites réserves d’ensemble s’effacent à l’heure du magnifique quintette des adieux, du sextuor de fin d’acte 1, du duo des filles « Sii costante a me », du « Come scoglio » de Fiordiligi comme du « Smanie implacabili » de Dorabella. Ces chants font passer les grands frissons.
A l’heure du dénouement, les couples d’origine vont se reformer. Mais le poids de la supercherie va peser sur l’authenticité des véritables sentiments et altérer ceux-ci. Moment crucial… On aura été grée à la mise en scène de suggérer sans en faire une morale les doutes teintés d’amertume éprouvés par notre quatuor. Car la philosophie de Cosi, si philosophie il y a, c’est qu’on ne badine pas avec l’amour impunément…
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 15/04/2006
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