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Festival de la Roque d’Anthéron
12 Août

Judith Joregui-Khatia Buniathisvilli-Estuko Hirose, trois jeunes pianistes, la vingtaine à peine entamée, inconnues du plus grand nombre, figuraient au programme de cette nuit Chopin, « nuit rituelle » du festival.
C’est de l’appréciation de leur récital que dépendra une grande part de leur future carrière. Un cv mentionnant « Festival de la Roque d’Anthéron », de surcroît dans la cour des grands, le Parc de Florans, est un sésame pour l’avenir, un pas de géant pour aller de Steinway en Bechstein parcourir le monde.
L’engouement pour un récital de Martha Argerich ou d’Aldo Ciccolini peut se comprendre. Les risques de déception sont minces. Mais venir entendre des artistes en début de carrière, est un acte «mélomaniaque» autrement plus excitant. De ce point de vue, le public de cette nuit Chopin aura été mille fois récompensé de sa curiosité.

Acte 1. Une Judith Joregui au jeu clair, limpide, dotée d’une pensée musicale sobre donna un Chopin élégant, au rubato mesuré mais un peu privé de ce « cantabile bellinien» qui grise les âmes les plus terre à terre. Puis Judith Jauregui joua des Variations de Monpou, inspiré par l’amant de Nohant. Exercice de style toujours plaisant, anecdotique parfois. Soulagée d’avoir réussi un très beau récital, la jeune espagnole aux bras tels des ailes d’albatros, offrit au public le plus beau sourire de cette édition 2009.

Acte 3. Le crédit d’applaudissements du public était largement entamé par le récital précédent quand Estuko Hirose parut sur la scène. . La jeune japonaise défendit avec âpreté les Préludes op 28. On applaudit la technicienne sans reproche, la virtuose hors pair, son abattage courageux, mais on sera plus mesuré pour sa sonorité légèrement « brumeuse » et un discours parfois brouillon dans les numéros les plus vifs.

Acte 2. On aura compris…On garde Khatia Buniathisvilli pour la bonne bouche. Disons le tout net, sauf apparition qui tiendrait du miracle dans les prochains jours, la révélation des jeunes talents 2009, c’est cette fulgurante géorgienne.
Isaac Stern, musicien légendaire, ordonnait à ses élèves : « Si vous n’avez rien à dire, ne jouez pas.. » A peine installée devant son clavier, aux premières mesures de la Sonate n°2, il aurait fallu être sourd pour ne pas saisir ce que cette musicienne au nom imprononçable avait à nous dire. Non pas une invitation à l’entendre, mais une injonction à l’écouter. Et non pas dans des œuvres brèves comme celles du programme de ses camarades, mais dans un choix de pièces à perdre haleine.
Emportements à la Martha Argerich, pianissimi à la Maria Joao Pires…oui, mais voilà, la Ballade n°4 à peine achevée, aucune autre référence ne viendra plus à notre esprit. Khatia Buniathisvilli fait du Khatia Buniathisvilli, c’est à dire un jeu concentré de « je ». Un narcissisme qui s’assume par la multiplicité de points de vue personnels.
Que dire du son, somptueux, que dire de la projection, prodigieuse ? Une nature, un tempérament, un charisme, une force en marche. Et une pensée claire, claire et sans une once de mauvais goût avec ça…On a peine à croire qu’à 22 ans, miss B…possède une telle maîtrise et une telle autorité sur un clavier qu’elle prend de haut, de si haut… En bis, murmurée, un Prélude n°4 de Chopin, sobre et mélancolique.
Khatia Buniathisvilli, démarche étudiée de mannequin dont elle a la silhouette, disparaît dans la nuit.
Inconnue de nous à 21h30, gravée dans notre mémoire à 22H45…les coups de foudre ne se raisonnent pas.

Gérard Abrial
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© Easyclassic - 14/08/2009