Zhu Xiao Mei- Last sonatas
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On connaît Zhu Xiao Mei pour des « Goldberg » admirables de naturel, de simplicité, d’élégance. Fervente interprète au disque de Bach et de Scarlatti, on pense souvent que cette artiste rare et réservée est isolée dans cette époque musicale qu’elle explore à pas comptés, souvent plus pour elle-même que pour le grand public.
Double surprise que cet album extrêmement audacieux. Beethoven, soit. Schubert, soit. Mais tous les deux réunis pour leur dernière grande œuvre pour clavier, une manière de testament, voila bien un pari osé, risqué qui ne semble tenir a priori que par l’intitulé de l’album. Les grands « anciens » eux-mêmes, Arrau, Brendel, Serkin ou Pollini n’ont pas gravé simultanément ces œuvres majeures, n’y voyant peut-être pas d’esthétique commune ou motif à rapprochement.
Beethoven, en 1822, composant la dernière de ses trente-deux sonates, a encore cinq années à vivre. C’est cependant un homme qui ne tient (et encore !) à la vie que par un fils adoptif et par l’écriture de ses quatuors. Le temps venu, cette terre pour laquelle il n’a que mépris, il quittera sans se retourner.
Schubert, lui, va mourir et il le sait. Une affaire de quelques petites semaines. D’ailleurs est-il encore là ? A entendre les longues mélodies éthérées du premier mouvement de cette ultime sonate, on peut en douter.
Que dit implicitement Zhu Xiao Mei pour rapprocher ces deux testaments, sans jamais, et c’est sa première vertu, en confondre les esprits ?
Que ce qui se manifeste dans ces pages, c’est l’expression de l’extrême lucidité de ces deux hommes. La mort ne viendra pas les saisir au col par effraction et son imminence ne ralentira pas le flux de leur inspiration. Nulle trace d’urgence, pas d’affolement, de la sérénité même. Par ailleurs, une maîtrise absolue de leur art. Chez Beethoven, pour exemple, les fameuses variations de l’arietta dont Roland de Candé juge qu’elles sont du domaine de l’inouï. Chez Schubert, l’andante sostenuto d’une simplicité confondante qui fait écho aux dernières sonates de Beethoven ou encore l’allegro d’une poésie bouleversante, tel un hymne à cette vie qui abandonne un génie de trente deux ans à peine. Commun à ces deux créateurs, le souffle novateur qui parcourt ces œuvres, oeuvres qui ne ressemblent en rien à un legs récapitulatif de leurs prodigieuses inspirations. Etat de grâce, état de grâce…et courage.
Zhu Xiao Mei n’a pas été tentée de mettre Schubert et Beethoven à deux extrémités de sa carrière, comme pour une longue décantation. Elle ne joue pas la carte des similitudes esthétiques, elle ne réinvente pas les codes interprétatifs en gravant ces deux œuvres sur le même album qui est tout, sauf un produit éditorial. Si Zhu Xiao Mei nous immerge dans deux mondes aux parentés métaphysiques, sa caractérisation musicale est extrêmement claire et constamment pertinente.
Affirmer que tout au long de cette gravure on aura aimé la beauté de son toucher, le dosage si exact de ses accents, l’élégance sans jamais aucun affect de ses phrasés, la densité de sa sonorité, la variété de ses sentiments, la subtilité de ses couleurs, sa capacité narrative, est bien peu dire.
Par sa vision jamais morbide chez Beethoven, toujours limpide chez Schubert, par une vitalité encore et toujours intacte, Zhu Xiao Mei, qui sait que souffrance signifie, sort victorieuse de ce défi et même, assez conquérante.
Et nous absolument conquis.
Gérard Abrial
© Easyclassic - 08/08/2009
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