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Musicales du Luberon -28 juillet 2014
Carrières de Lacoste

« Des histoires de voix »

Natalie Dessay et l’adieu au contre-fa

Bienheureux le pianiste qui, aux 4 coins de la planète, retrouve, bien accordé, un bon gros Steinway D, ses immuables 88 touches et sa demi-tonne. Et comme tous les instruments, après usage, ceux-ci seront remisés dans l’attente d’un prochain duo avec leurs propriétaires.
Bien différente est la relation entre l’artiste qui a choisi le chant et son instrument, la voix.
De tous les instruments de musique, la voix est le plus fragile, le moins contrôlable, le plus vulnérable. Le plus intime aussi.
Le « bel canto » est nourri de ces étrangetés qui procèdent autant du spirituel que du corporel, autant de la science d’un Freud que de celle de notre ORL. La relation que chanteurs ou chanteuses entretiennent avec leur voix est de la plus grande complexité. L’art lyrique souffre d’une crainte sourde, latente, celle d’une altération vocale, voire de son extinction. Ne dit-on pas « être laissé sans voix » ?
Dans le cercle restreint de l’art lyrique au niveau mondial, deux voix « altérées » ont fait la une. En 2007, celle du ténor mexicain Rolando Villazon, opéré d’un polype et celle de Natalie Dessay, relevant de même traitement en 2001.
Après avoir déchainé les passions sur les scènes des capitales des cinq continents, la cantatrice, pour des raisons physiologiques comme morales, a annoncé voici peu, vouloir abandonner les grands rôles qui ont fait sa gloire au profit de nouveaux répertoires. Moins exigeant vocalement et aussi dramatiquement : chansons, opérettes, mélodies françaises, variétés internationales, cross-over…Dans ces genres, on y croise moins de suicides, d’empoisonnement. Le sang y coule rarement et les esprits ne sombrent pas dans la démence. Aucune soprano ne sort indemne d’une Lucia à haute dose.
Mais, en s’éloignant de Bastille, du Met ou de la Scala, Natalie Dessay s’est vue reprocher sa « déloyauté » envers le monde lyrique stricto sensu et son repli vers la facilité de genres « grand public. ». Un reproche qui ne tient pas à l’écoute de son récital de ce 28 juillet consacré à la mélodie française. Bien entendu, par le fait des textes, sont suprimées fusées sonores, pyrotechnies et ivresses de contre-fa. A la cinquantaine, si les fraicheurs vocales sont périmées (aigus durcis, quelques défauts d’intonation, couleurs moins riches, volume sonore revu à la baisse) en revanche, l’art de la prosodie de Natalie Dessay est toujours aussi rayonnant et sa technique vocale intacte. Et même dans les conditions aléatoires du « plein air » la projection de la voix ne sent pas l’effort. A peine a-t-on perçu chez cette perfectionniste d’une grande exigence envers elle-même, l’expression d’une certaine fragilité émotionnelle.
Ce récital nous aura révélé (hormis 3 ou 4 pièces) de rares mélodies françaises signées Duparc, Poulenc, Widor. Le soin apporté par notre ex-Reine de la Nuit à sa diction et son articulation ne souffre d’aucun reproche. Souvent, ces vertus poussées à leur extrême aboutissent à des effets maniérés. Grande est la tentation d’infliger un sort à chaque mot ou syllabe. Agaçant.
Mais, pour être honnête, il nous faut dire que certaines de ces mélodies manquaient de relief et que notre attention, à 2 ou 3 reprises, s’est perdue dans la contemplation des étoiles. Mais le charme de notre diva est toujours aussi envoûtant.

Monsieur Dessay n’existe pas.

Baryton, tendance baryton-basse, il se nomme Laurent Naouri. Si son CV est moins volumineux que celui de son épouse, on peut néanmoins noter ses prises de rôles à Garnier, Bastille, Met de New-York. C’est dire si son chant ne cède en rien à celui de son épouse.
Laurent Naouri, à l’inverse d’un Roberto Alagna, ténor souvent tumultueux, à la ville comme à la scène, est l’exemple même de la constance, de la discrétion et de la distinction, dans sa présence scénique comme vocale. Dotée d’un timbre large, puissant, intériorisé, la voix de Laurent Naouri projeté avec un naturel confondant, coule de source, remarquable d’une élégante musicalité qui sert à merveille ces poèmes. La complicité avec le public fut immédiate, notre chanteur maniant avec art l’humour au second degré. Les duos avec Natalie Dessay, alliance d’une sensibilité à fleur de peau pour la « diva » et pour le « divo » d’un contrôle émotionnel parfaitement dosé, furent les temps forts de ce récital.

Maciej Pikulski, pianiste connivent La mélodie française, par essence brève, exige que l’atmosphère requise par celle-ci soit dès les premières mesures, présente.
Maciej Pikulski, longtemps complice de José Van Dam, souvent au côté de Renée Fleming, Dame Felicity Lott ou Maria Bayo, sait donner à chaque note son poids, sa couleur, son expressivité idéales. Une immersion entre le verbe et la note, entre l’explicite et l’implicite.
Si la mélodie française est avant tout charme et séduction, Natalie Dessay, Laurent Naouri et Macej Pikulski, ce 28 juillet à Lacoste, l’ont servi avec bonheur.

Gérard Abrial pour les Musicales du Luberon Saison 2014

PS2 : Natalie Dessay, volontiers dans la dérision, a nommé ses chats : Kyste, Nodule et Polype…

© Easyclassic - 03/08/2014