Festival de La Roque d’Anthéron Récital de Khatia Buniatishvili 26 juillet 2012 .
Khatia Buniatishvili : la flamboyance maîtriséeDepuis peu, et pourquoi lui en faire le reproche, le monde de la musique classique se « peoplelise » Lang Lang, Yuja Wang, Yundi Lee, Valeri Sokolov, Renaud Capuçon, Roberto et Angela.…s’affichent aux côtés des célébrités du cinéma et de la mode, offrant à Beethoven, Puccini ou Ravel une vitrine « grand public. » Quand ils en parlent… !
Leurs points communs… ? Ils sont jeunes, plutôt bien de leur personne et ils connaissent les codes et les mœurs du monde des paillettes. Sont-ils pour autant en train de dévoyer l’art qu’ils servent ? Non. La « star » planétaire, Lang Lang, désormais moins histrionique, nos « vedettes », dans l’ensemble, demeurent d’exigeants interprètes. On leur doit (l’encore modeste) émergence d’un nouveau public dont le « classique » a le plus grand besoin.
Lors de son 1er récital à La Roque en 2009, nous avions été subjugués par Khatia Buniatishvili: « A peine installée devant son clavier, aux premières mesures de la Sonate n°2 de Chopin, il aurait fallu être sourd pour ne pas saisir ce que cette musicienne au nom imprononçable avait à nous dire. Non pas une invitation à l’entendre, mais une injonction à l’écouter. Et non pas dans des œuvres brèves comme celles du programme de ses camarades, mais dans un choix de pièces à perdre haleine… »
En ce 27 juillet, appelée pour remplacer la spectaculaire Yuja Wang, Khatia Buniatishvili n’avait rien à envier à sa consœur chinoise.
Dotée d’une plastique siglée Agence Elite, Kh.B. apparaît sur la scène du parc de Florans, vêtue d’une robe fourreau pailletée tel un clin d’œil à une blonde splendeur, jadis artiste elle aussi.
Du point de vue strictement visuel, le public (masculin) ne peut être que conquis. Mais, à peine les premières mesures de la sonate de Liszt résonnent-elles sous les doigts de la jeune géorgienne de 25 ans, que l’œil passe le relais à l’ouïe, un transfert de quelques secondes. Dans les tribunes, le silence se fait profond. Nul besoin d’être un mélomane savant pour éprouver cette certitude : Kh.B, 25 ans, s’impose comme une musicienne majeure, une artiste dotée d’un métier à l’égal de ses grands aînés.
On déplore que l’extrême difficulté de la sonate de Liszt ne fut pas mentionnée sur le programme de salle. Cette indication, tel un roulement de tambour, aurait permis aux mélomanes occasionels de mesurer la dose de technicité, de lucidité, d’endurance que cette oeuvre requiert. ( durée 30’ en un seul mouvement. )
Kh.B aborde cette partition en pleine possession de moyens superlatifs. Libérée du texte, elle peut la restituer, nourrie de ses multiples points de vue. La Sonate de Liszt par Kh.B est une narration des plus claires, qui ne sent jamais l’effort, un torrent de haute montagne mais sous contrôle.
Après une Méphisto-Valse d’un même niveau, Kh.B propose la sonate n°2 de Chopin, déjà à son programme en 2009.
Celle-ci, saturée de couleurs, timbres, accents, nuances… semble néanmoins encore dans le monde lisztien. Seule, la célèbre Marche Funèbre fait apparaître un Chopin sans pathos ni climat artificiellement élégiaque.
Mais, à l’heure de nous dire « au revoir… ! » un événement rarissime s’est produit.
Après les sommets que Kh.B a affrontés, son bis, le Prélude n°4 de l’opus 28 de Chopin, nous semblait tout à fait approprié avant l’extinction des feux. Mais quelques applaudissements encouragent notre belle géorgienne à revenir sur scène pour un second bis qu’on pressent aussi bref que paisible, un Scarlatti, un Rameau ou un Chopin. Mais…stupéfaction…
Connait-on œuvre aussi périlleuse que la sonate n°7 de Prokofiev, notamment son « précipitato » de forme toccata avec ses suites tumultueuses d’octaves ? Quatre minutes hallucinantes, d’une virtuosité folle, une course à l’abime. Une simple pensée parasite traverse l’esprit et c’est la perte de contrôle, le décrochage. Suspendus à leur paroi, les alpinistes connaissent ce péril…Et c’est avec le plus grand calme que Kh.B rejoint la pénombre du Parc de Florans.
Du haut de leurs nuages, Horowitz, Bolet, Rubinstein, Van Cliburn, à leur jeune consœur disent.. « Mademoiselle, chapeau bas, on vous adoube…
Gérard Abrial
Pour easyclassic.com
© Easyclassic - 30/07/2012
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