Musicales du Luberon 3 août 2015
Effervescence scaligère*
Au profit de celles ou ceux qui aiment à apprendre un mot par jour : *Scaligère=relatif à la Scala. Cette vénérable institution possède une liste de «whos’who » de la baguette des plus impressionants. Arturo Toscanini, Tullio Serafin, Lorin Maazel, Claudio Abbado, Riccardo Muti, Herbert von Karajan ont laissé de profondes traces sur cette scène ou dans la fosse. Bien que cet orchestre soit traversé par de nombreuses et endémiques turbulences sociales, il possède des individualités de tout premier plan.
Le quatuor invité en ce 3 août, (4 chefs de pupitres à cordes) aura réjouit un public conquis à la première mesure du quintette op. 34 de Dvorak.
Dire que cet ensemble prend plaisir à jouer ensemble est peu dire. Le quintette du maître tchèque se prête idéalement à cette dualité qui nous va au cœur : alternance des mouvements élégiaques à ceux jubilatoires, souvent dans le même mouvement, captent tous nos sens. Ces contrastes d’inspiration bohémienne, se retrouvent dans ces fameuses « Dumka » dont Dvorak sait tirer les effets les plus irrésistibles.
Le mélomane instruit, (mais parfois sourcilleux) notera quelques précipitations, accentuations et autres effets de loupe (emphase des passages arpégés, coda crépitante du 1er mouvement, scherzo pris à un tempo d’enfer..) qui nuisent à l’articulation des traits par une saturation sonore (des ff parfois très fff) ou un affaiblissement de l’intelligibilité.
Cette froide analyse, certes, peut s’admettre. Mais comment ne pas se laisser gagner par
le merveilleux et très fécond mélodiste que fut Dvorak, par cette nature slave, ces rythmes aux effluves tziganes qui se prêtent tant à un sentimentalisme et un épanchement décomplexés? Tant pis pour les oreilles et tant mieux pour nos sens.
A ce sujet, Stravinsky proclame: « Peu importe les notes, c’est l’effet qu’elles produisent qui compte »
Ce quintette de Brahms, ( image) en quatre mouvements, œuvre bien plus architecturée que celle de Dvorak, pour autant ne sent pas l’académisme.
L’allegro de forme sonate à trois thèmes se propage d’archets en archets avec un naturel qui semble naître sous les doigts de ce quatuor complice de si longue date. L’andante se nourrit de ce monde si cher à Brahms, celui d’une nature onirique, habitée de ces mystères et de ces légendes nordiques qui parcourent nombre de ses œuvres. Suit un scherzo qui prépare à l’apparition d’un finale noté « poco sostenuto-allegro non troppo-presto non troppo », une page d’une exceptionnelle teneure musicale, de l’art à l’état pur. Ce quintette se décrit comme l’œuvre majeure de Brahms dans le domaine de la musique de chambre. Décrié comme romantique attardé comme il se dit dans le monde converti à l’atonalité, Brahms révèle des audaces harmoniques, des libertés formelles qui vont à l’encontre de ces jugements excessifs, bien immérités.
Notre quatuor se fond dans cet esprit brahmsien, jamais pris en défaut d’un quelconque déséquilibre ni d’effets de séduction ici malvenues.
Janis Vakarelis aura tenu sa partie avec une grande probité, sans toutefois se départir (du moins dans le quintette de Brahms) d’une forme de neutralité bienveillante.
Des musiques rayonnantes.
« Et les sourds entendront » (Esaïe 29 :18)
Gérard Abrial
© Easyclassic - 05/08/2015
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